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près de nous, ou que l’on doive s’apercevoir de notre conduite. C’est pour cela que, dans le malheur, on n’aime pas à être vu de ceux qui, naguère, nous jalousaient, car ceux qui nous jalousent ont pour nous un sentiment d’admiration.

XXV. Soit encore le cas où il y a quelque chose de déshonorant dans nos propres affaires et dans nos actions, ou dans celles de nos ancêtres, ou de quelques personnes dont les intérêts sont liés aux nôtres et, d’une manière générale, de ceux pour qui nous avons honte. À cette dernière catégorie appartiennent d’abord ceux dont nous avons parlé (précédemment), et encore ceux dont nous répondons, ceux qui ont reçu nos leçons ou nos conseils.

XXVI. Soit enfin le cas où d’autres, parmi nos pareils, excitent notre émulation ; car il est beaucoup d’actions que la réserve à garder vis-à-vis de ces personnes nous suggère, ou nous interdit.

XXVII. Ceux qui doivent être en vue et dont la conduite sera épluchée au grand jour par ceux qui sont dans leur secret seront encore plus sujets à la honte. De là ce mot du poète Antiphon, au moment de périr sous la bastonnade par l’ordre de Denys. Voyant ses compagnons de supplice se cacher la tête dans leur manteau au sortir des portes : « Pourquoi vous cacher la tête, dit-il ; serait-ce pour que personne, dans cette foule, ne nous puisse reconnaître demain ? »

Voilà pour ce qui concerne la honte. Quant à l’absence de honte [1], il est évident que nous pourrons tirer un bon parti des arguments contraires.

  1. ᾿Αναισχυντία ne signifie pas toujours impudence, manque de retenue. Ce expressions ne sont jamais prises dans un sens favorable, tandis que le mot grec peut l’être. C’est ainsi que nous disons : « Je n’ai pas honte de l’avouer, » en parlant d’une action ou d’une pensée honorable.