Page:Aristote - Poétique et Rhétorique, trad. Ruelle.djvu/218

Cette page a été validée par deux contributeurs.
190
LA RHÉTORIQUE

et ne s’emportent pas tout de suite, car le temps fait tomber la colère.

XIII. Une chose qui fait cesser la colère, même plus grande[1], dont nous sommes animés contre telle personne, c’est la vengeance que nous avons pu exercer antérieurement sur une autre. De là cette réponse avisée de Philocrate[2] à quelqu’un qui lui demandait pourquoi, devant le peuple transporté de colère contre lui, il n’essayait pas de se justifier. « Pas encore, dit-il. Mais quand le feras-tu ? — Lorsque j’aurai vu porter une accusation contre quelque autre. » En effet, on devient calme (à l’égard d’un tel), quand on a épuisé sa colère contre un autre ; témoin ce qui arriva à Ergophile. Bien que l’on fût plus indigné de sa conduite que de celle de Callisthène, on l’acquitta parce que, la veille, on avait condamné Callisthène à la peine de mort[3].

XIV. De même encore, si les gens (qui nous ont fait tort) ont subi une condamnation et qu’ils aient éprouvé plus de mal que ne leur en auraient causé les effets de notre colère ; car l’on croit, dans ce cas, avoir obtenu justice.

XV. De même, si l’on pense être coupable soi-même et mériter le traitement infligé ; car la colère ne s’attaque pas à ce qui est juste. On ne croit plus, dès lors, subir un traitement contraire à ce qui convient ; or c’est cette opinion qui, nous l’avons vu[4], excite la colère. Voilà pourquoi il faut réprimer, au préalable, par des paroles. On a moins d’indignation quand on a été réprimé (ainsi), même dans la condition servile.

  1. Plus grande que celle dont le tiers serait l’objet.
  2. Philocrate est mentionné plusieurs fois dans le discours du Démosthène sur la fausse ambassade.
  3. Ergophile et Callisthène, généraux athéniens qui furent accusés de trahison.
  4. chap. II, § 1.