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II. Les uns font tout cela au hasard[1], et d’autres par une habitude contractée dans leur condition. Comme ces deux moyens sont admissibles, il est évident qu’il y aurait lieu d’en diriger l’application et de considérer la cause qui fait réussir soit une action habituelle, soit une action spontanée. Or tout le monde conviendra que cette étude est le propre de l’art.

III. Aujourd’hui, ceux qui écrivent sur la rhétorique n’en traitent qu’une mince partie[2]. Les preuves ont seules un caractère vraiment technique, tout le reste n’est qu’un accessoire ; or ils ne disent rien de l’enthymème, ce qui est le corps de la preuve. Le plus souvent, leurs préceptes portent sur des points étrangers au fond de l’affaire.

IV. L’attaque personnelle (διαβολή), l’appel à la pitié, l’excitation à la colère et aux autres passions analogues de l’âme ont en vue non l’affaire elle-même, mais le juge. C’est au point que, si l’on faisait pour tous les jugements ce qui se fait encore aujourd’hui dans quelques cités, et des mieux policées, ces rhéteurs n’auraient rien à mettre dans leurs traités.

V. Parmi tous les hommes, les uns pensent que les lois doivent prononcer dans tel sens[3], et les autres, en admettant l’appel aux passions, interdisent tout ce qui est en dehors de l’affaire, comme on le fait dans l’Aréopage ; et c’est là une opinion juste. Il ne

  1. On dirait aujourd’hui d’instinct, spontanément ; mais nous nous sommes appliqué, en traduisant Aristote, à conserver, autant que possible, l’expression et l’image de notre auteur.
  2. Si, au lieu de πεποιήκασι que donne le plus ancien manuscrit connu (Cod. parisinus, 1743), on adopte πεπορίκασι leçon donnée à la marge de ce manuscrit et dans le texte de trois autres, sur les cinq consultés, on pourra traduire : « n’ont apporté qu’un faible secours à cet art. »
  3. Οὕτως ἀγορεύειν.