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prescrit par des lois positives ce qu’il faut faire, et ce dont on doit s’abstenir, il s’ensuit que sa fin doit comprendre celles de toutes les autres, et que par conséquent ce doit être cette fin qui est le bien propre et véritable de l’homme. Car, bien qu’un individu isolé se propose la même fin que tout un peuple, et qu’on pût se borner à ce qui concerne un seul homme, il y a pourtant quelque chose de plus noble et de plus élevé à s’occuper du bonheur durable d’un peuple et d’un état tout entier. Tel sera donc l’objet de ce traité ; c’est une sorte de politique.

III. Ce sera sans doute en dire ce qu’il faut, que d’y porter toute la clarté dont le sujet est susceptible ; car, dans toutes les sortes de discours, de même que dans les ouvrages de la main, on ne doit pas toujours exiger une précision rigoureuse. En effet, l’honnête et le juste, qui sont l’objet des considérations de la politique, ont donné lieu à des opinions si divergentes, qu’on a cru qu’ils n’étaient qu’une création de la loi, et non le produit de la nature[1]. Et le bon (ou le bien en soi) a

  1. Le mot νόμος signifie, en grec, loi, et de plus, usage, coutume, précepte, et même opinion, croyance. Démocrite avait dit, en ce sens, νόμῳ γλυκύ, νόμῳ πικρόν (le doux et l’amer n’existent pour nous que parce que nous les croyons tels), voulant marquer par là l’incertitude du jugement des sens, qu’il appelait obscur, par opposition à celui de l’esprit, qu’il nommait légitime ou pur. Cependant les sophistes, parodiant cette expression de Démocrite, et l’appliquant à la morale, en firent leur fameux adage : νόμῳ καλόν, νόμῳ κακόν (il n’existe de vertu ou de vice que par la