Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/521

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous l’avons dit ; mais l’être comme le sont la plupart des hommes, voilà ce qu’il ne faut pas.

IX. On demande encore, au sujet de l’homme heureux, s’il a besoin, ou non, d’avoir des amis[1] ? Car, dit-on, quand on jouit d’une félicité parfaite, et qu’on n’a rien à désirer, on n’a nullement besoin d’amis, puisqu’on jouit de tous les biens ; et, par conséquent, ayant tout en abondance, on ne saurait rien souhaiter de plus : puisque l’ami, qui est un autre vous-même, vous procure ce que vous ne pourriez obtenir par vos ressources personnelles. De là cette pensée d’un poète : « Lorsque la Divinité vous comble de biens, qu’a-t-on besoin d’amis[2] ? »

Cependant, en accordant à l’homme parfaitement heureux la jouissance de tous les biens, il semble étrange qu’on veuille lui refuser des amis ; c’est-à-dire, ce qu’on regarde communément comme le plus précieux des biens extérieurs. Mais, si le mérite de l’ami consiste plutôt à rendre des services qu’à en recevoir, si la bienfaisance est le caractère propre de l’homme vertueux et de la vertu, et enfin s’il est plus beau de faire du bien à ses amis qu’à des étrangers, il faut donc que l’homme vertueux ait sur qui répandre ses bienfaits. Voilà pourquoi on

    humaine, à la condamnation trop absolue portée par son maître contre l’amour de soi. Voy. Plat. de Legib. l. 5, p. 731.

  1. Voyez, sur le même sujet, M. M. l. 2, c. 15 ; et Eudem. l. 7, c. 12.
  2. Voyez l’Oreste d’Euripide (vs. 667).