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tion grande et généreuse, à une multitude d’actions communes et petites.

Et c’est peut-être ce qui arrive aux hommes qui font à la vertu le sacrifice de leur vie : ils réservent pour eux la plus belle et la plus noble part. Ils prodigueront aussi sans peine leurs richesses, dans la vue d’en procurer de plus grandes à leurs amis ; et c’est, en effet, l’avantage que ceux-ci retireront de cette générosité, mais l’honneur en restera à celui qui l’a faite, et ainsi il s’est réservé à lui-même un bien plus précieux. Il en sera de même des honneurs et des dignités : l’homme vertueux en fera volontiers le sacrifice à son ami ; car ce sera une chose honorable pour lui et digne de louanges. C’est donc à juste titre qu’il passe pour vertueux, préférant l’honnête à tout le reste. Enfin, il est possible que l’on cède à son ami l’occasion de faire de belles actions, et qu’il y ait plus de grandeur d’âme à être cause de celles qu’il fera, qu’à les avoir faites soi-même.

On voit donc que, dans tout ce qui est louable, l’homme vertueux se réserve une meilleure part de l’honneur et de la solide gloire, et c’est ainsi qu’il faut être ami de soi-même, ou égoïste[1], comme

    dit aussi : Est autem unus dies, bene et ex præceptis tuis actus, peccanti immortalitati anteponendus.

  1. Il est assez probable, comme le remarque Mr Zell, qu’Aristote a voulu combattre et réfuter, dans ce chapitre, la doctrine de Platon, sur le même sujet, et qu’il a cru devoir opposer une distinction fondée sur l’observation exacte de la nature