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on n’éprouverait, en général, ni privations ni besoins ; chacun jouirait du bien le plus précieux, puisque la vertu est ce bien. D’où il faut conclure que l’homme vertueux doit nécessairement s’aimer soi-même ; car, en faisant de nobles actions, il ne saurait manquer d’en retirer de grands avantages, et d’en procurer aux autres. Le méchant, au contraire, ne doit pas s’aimer lui-même ; car, en s’abandonnant à de viles passions, il nuira infailliblement à ses propres intérêts, et à ceux des personnes qui auront quelques rapports avec lui. D’ailleurs, dans la conduite du méchant, il n’y a aucun accord entre ce qu’il fait et ce qu’il doit faire ; tandis que l’honnête homme fait précisément ce qu’il doit : car la raison choisit toujours ce qui lui est le plus avantageux ; et c’est à la raison que l’honnête homme obéit.

Il est donc vrai de dire de lui qu’il est prêt à tout faire pour ses amis, et pour sa patrie, fallût-il mourir pour elle ; car il sacrifiera richesses, honneurs, et, en général, tous les biens qu’on se dispute d’ordinaire avec tant de fureur, pour s’assurer ce qu’il y a de véritablement beau et honorable : préférant la plus délicieuse des jouissances, ne durât-elle que quelques instants, à des siècles de langueur ; une seule année d’une vie honorable et glorieuse, à la plus longue existence consacrée à des actions vulgaires[1] ; enfin, une seule ac-

  1. Cicéron, dans l’éloquente prière qu’il adresse à la philosophie, au commencement du 5e livre de ses Tusculanes (c. 2).