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VIII. On demande, s’il faut s’aimer soi-même plus que tout, ou porter son affection sur un autre[1] ? Car ceux qui s’aiment eux-mêmes de préférence à tout, sont généralement blâmés, et on les flétrit, en quelque manière, en leur donnant le nom d’égoïstes. Il est bien vrai que le méchant ne voit, pour ainsi dire, que lui-même dans tout ce qu’il fait, et qu’il se considère d’autant plus exclusivement qu’il est plus vicieux. Aussi lui reproche-t-on [ d’être incapable de faire une action noble et généreuse[2]].

Au lieu que l’homme de bien n’agit qu’en vue de ce qui est honnête ou de ce qui est utile à ses amis ; et plus il est vertueux, plus il observe cette règle de conduite, et néglige ses propres intérêts.

Cependant ce langage n’est d’accord ni avec les faits, ni avec la raison : car on dit, que celui qu’il faut le plus aimer est celui qui est le plus notre ami : et certes, notre ami le plus sincère, est celui qui ne nous veut du bien que pour nous-mêmes, quand tout le monde devrait l’ignorer. Or, c’est là précisément le caractère des sentiments que chacun a pour soi-même ; à quoi il faut joindre toutes les autres conditions qui entrent dans la définition de

  1. Question discutée aussi dans les deux autres traités. Voy. M. M. l. 2., c. 13-14 ; et Eudem. l. 7, c. 6.
  2. J’ai suivi ici la liaison des idées, plutôt que je n’ai traduit le texte, qui est évidemment altéré dans ce petit nombre de mots : οἷον ὅτι οὐθὲν ἀφ' αὑτοῦ πράττει, dont on ne saurait tirer un sens satisfaisant. Voyez les remarques de Mr  Coray, p. 324.