Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ce qui charme le plus, et ce qu’il y a de plus aimable, c’est l’acte lui-même.

L’œuvre subsiste donc pour celui qui en est l’auteur, car ce qui est honorable et beau est aussi durable ; mais pour l’obligé, dès qu’il a reçu le bienfait, il cesse d’en sentir l’utilité. La mémoire des choses belles et honorables est délicieuse ; celle des choses utiles ne l’est pas, ou l’est beaucoup moins ; et, quant à l’attente de ces deux sortes de choses, il semble qu’on en soit affecté d’une manière toute contraire. En un mot, l’attachement que l’on a pour d’autres a quelque ressemblance avec l’action ou production ; au lieu que celui des autres pour nous, nous place, pour ainsi dire, dans une situation passive : or, la supériorité des facultés actives est toujours accompagnée d’une disposition à aimer et de qualités aimables[1].

Enfin, on s’attache toujours bien plus à ce qui a coûté beaucoup de peine, et c’est ainsi que ceux qui ont acquis eux-mêmes de la richesse, y tiennent plus que ceux qui l’ont reçue de leurs parents. Or, recevoir un bienfait ne semble pas coûter beaucoup de peine, tandis qu’il en coûte pour obliger ; et c’est pour cela que les mères ont plus de tendresse pour leurs enfants. Car leur naissance a été plus pénible pour elles, et elles savent mieux qu’ils sont nés d’elles. C’est aussi une circonstance qui semble caractériser plus particulièrement les bienfaiteurs.

  1. Voyez ce qui a été dit ailleurs sur ce sujet, l. 4, c. 3.