Page:Aristote - Morale, Thurot, 1823.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parence, uniquement à cause de la personne qu’il aime, ou qui veut que son ami vive et se conserve pour son seul avantage ; et c’est précisément ce que les mères réprouvent pour leurs enfants, ou bien, ce qu’on ressent pour ses amis, lors même qu’on a eu avec eux quelque sujet de brouillerie. Se plaire à vivre avec celui qu’on aime, partager ses goûts, ses peines, ses plaisirs, c’est encore ce qu’éprouvent surtout les mères, et c’est également ce qui caractérise l’amitié.

Or, c’est aussi ce que ressent pour soi-même tout homme digne d’estime, et ce que les autres pensent et sentent, en tant qu’ils se regardent eux-mêmes comme tels ; car la vertu et l’honnête homme semblent être, sous ce rapport, la mesure d’après laquelle on apprécie chaque individu, comme nous l’avons déjà dit[1]. C’est ainsi, en effet, qu’on est toujours d’accord avec soi-même ; que l’âme tout entière[2] affectionne toujours les mêmes objets ; et que, par conséquent, on désire et l’on pratique pour soi-même le bien, ou ce qui paraît tel. Car le devoir de l’honnête homme est de s’appliquer avec ardeur à son propre bien, c’est-à-dire, pour l’avantage de cette partie de lui-même qui est capable de raison, et qui semble être l’essence de chaque individu : aussi aspire-t-il à vivre, à se conserver lui-même, et surtout cette partie de son

  1. Voyez l. 3, c. 4.
  2. C’est-à-dire, les deux parties (raisonnable et irraisonnable) dont l’âme est composée, suivant notre philosophe.