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grands progrès dans la vertu, celui-ci demeurera-t-il l’ami du premier, ou bien, est-ce une chose impossible ? Cela se voit surtout après un intervalle de temps considérable, comme dans les amitiés contractées dès l’enfance : car, si l’un reste enfant sous le rapport de la raison, lorsque l’autre sera devenu un homme accompli, comment pourraient-ils être amis, n’ayant point les mêmes objets d’intérêt, n’étant susceptibles ni des mêmes plaisirs, ni des mêmes peines ? Il n’y aura entre eux aucune de ces causes d’attachement réciproque, sans lesquelles il est impossible qu’on soit amis, sans lesquelles nous avons déjà dit[1] qu’on ne saurait vivre ensemble. Mais faut-il être, envers celui qui fut votre ami, dans les mêmes termes que s’il ne l’avait jamais été, ou conserver quelque souvenir de la liaison qui a existé précédemment ? De même que nous nous croyons obligés de nous montrer plus empressés avec nos amis qu’avec les étrangers, ainsi nous devons accorder quelque chose au souvenir d’une amitié qui n’est plus, à moins que ce ne soit une excessive perversité qui nous a mis dans le cas de rompre.

IV. Les sentiments de bienveillance, et qui constituent les liaisons d’amitié, semblent avoir leur principe dans ceux qu’on a pour soi-même : car on appelle ami celui qui veut ou qui fait du bien, ou, au moins, ce [qu’il croit tel] et qui en a l’ap-

  1. Voyez livre VIII, c. 7.