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est-il étrange que cette union vienne à se rompre lorsqu’elle n’offre plus les mêmes avantages ? Car on aimait des choses dont l’absence ou la privation fait naturellement cesser cette amitié. Cependant, on aurait droit de se plaindre, si celui dont l’amitié n’était fondée que sur l’utilité ou l’agrément, feignait un attachement fondé sur les mœurs. Car, comme nous l’avons dit précédemment[1], lorsque des amis n’ont pas une façon de penser semblable, il en résulte nécessairement des débats qui troublent leur union. Lors donc qu’un homme s’est fait illusion, et qu’il s’est imaginé être aimé pour ses qualités morales, tandis que son ami ne faisait rien qui pût lui donner cette pensée, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Mais, si celui-ci l’a trompé, en feignant des sentiments qu’il n’avait pas, c’est le trompeur qu’on a droit d’accuser et de blâmer, plus même qu’on ne blâme ceux qui altèrent la monnaie[2], d’autant que son délit attaque une chose d’un plus grand prix.

  1. Ci-dessus, dans le premier chapitre de ce livre.
  2. La même pensée est exprimée dans de très-beaux vers de Théognis (Sentent, vs. 121—126), auxquels Aristote semble avoir voulu faire allusion. Les commentateurs citent aussi, à cette occasion, un passage de Démosthène (Adv. Leplin. extr.), qui n’a de rapport avec la pensée de notre auteur, qu’à cause de la comparaison de la fausse monnaie. « Je suis surpris, disait l’orateur athénien, de voir que la peine de mort soit décernée, chez vous, contre ceux qui altèrent la monnaie, tandis que " vous accordez la parole à ceux qui altèrent la pureté des lois, etc. » C’est une pure déclamation ; les hommes qui abusent du