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au contraire, ne saurait sympathiser ni avec ses propres plaisirs, ni avec ses affections. Son ame est, pour ainsi dire, un théâtre de perpétuelles dissensions. Il est incapable de constance dans ses sentiments, et ne peut aimer personne, parce qu’il lui est impossible de s’aimer lui-même. — V. La bienveillance, qui fait qu’on souhaite du bien à de certaines personnes, pourrait s’appeler, par métaphore, une amitié inerte. Transformée en habitude, elle peut devenir, avec le temps, une véritable amitié. Une rencontre fortuite, l’opinion qu’on a de la vertu, de l’honnêteté d’un homme, peuvent inspirer de la bienveillance pour lui. En un mot, il n’est pas possible d’être ami, sans être d’abord bienveillant ; mais la bienveillance ne fait pas que l’on soit ami. — VI. La conformité des sentiments produit l’amitié ; mais la conformité dans les opinions n’a pas le même effet. L’union entre les citoyens d’une république naît de l’accord des sentiments. La justice, l’intérêt général ou le bien public, voilà l’objet commun de leurs désirs. Il n’est pas possible que les méchants soient unis de sentiments, du moins pour long-temps, et voilà pourquoi il ne saurait y avoir de véritable amitié entre des hommes avides et ambitieux VII. Pourquoi le bienfaiteur a-t-il ordinairement plus d’affection pour l’obligé que celui-ci n’en a pour son bienfaiteur ? C’est qu’en général on aime son ouvrage, c’est qu’on chérit l’existence, et qu’elle se manifeste surtout par l’exercice de l’activité ; c’est qu’il y a quelque chose de plus louable à être l’auteur du bienfait, qu’à en être l’objet ; enfin, c’est qu’on s’attache plus à ce qui nous a coûté plus de peine, et qu’il en coûte plus pour obliger les autres, que pour en recevoir des services. — VIII. Doit-on s’aimer soi-même avant tout, ou porter plutôt son affection sur les autres ? Si l’on entend par amour de soi, l’avidité pour les richesses, pour les honneurs, le soin continuel de satisfaire ses passions, ou son penchant pour le plaisir, rien n’est plus condamnable qu’un pareil égoïsme. Mais si, en faisant tout pour ses amis et pour sa patrie, en leur sacrifiant richesses, honneurs, et jusqu’à sa vie, on s’assure en effet la plus délicieuse des jouissances, on se réserve la plus belle et la plus noble part