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bonté absolue, et l’amabilité absolue*[1]. C’est donc ce qu’il y a de plus propre à se faire aimer ; l’amitié et le tendre attachement se trouvent donc dans les personnes de ce caractère, au plus haut degré d’excellence et de perfection.

Toutefois ces sortes d’amitiés doivent naturellement être fort rares ; car de tels hommes sont en bien petit nombre : d’ailleurs, il y faut du temps et de l’habitude. En effet, on ne peut guère se connaître les uns les autres, avant que d’avoir consommé ensemble, comme dit le proverbe, plus d’un boisseau de sel[2]. Avant que de s’adopter l’un l’autre, avant que de se lier d’une amitié réciproque, il faut que chacun se soit assuré des qualités aimables qui se trouvent dans l’autre, et qu’il ait pu y prendre confiance. Ceux qui s’empressent de faire toutes les avances propres à fonder une pareille liaison, veulent sans doute être amis ; mais ils ne le sont pas encore, à moins qu’ils ne soient dignes d’être aimés, et ils le savent bien. Le désir de l’amitié vient donc assez promptement, mais non pas l’amitié. Elle ne peut acquérir toute sa

  1. Les mots dont j’ai compris ici la traduction entre deux astérisques, n’offrent pas un sens satisfaisant, etaucun des commentateurs n’a réussi à leur en trouver un ; peut-être faut-il, comme le pense Mr Coray, les supprimer tout-à-fait, comme une glose marginale insérée mal à propos dans le texte.
  2. Cicéron (De Amicit. c. 19) rappelle ce même proverbe : Verumque illud est quod dicitur, multos modios salis simul edendos esse, ut amicitioe munus expletum sit. Voyez aussi Erasm. Adag. chil. 11, cent. 1, prov. 14.