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d’exécution dirigée par un faux raisonnement, dans les choses qui peuvent être autrement qu’elles ne sont,

V. Quant à la prudence, on peut s’en faire l’idée, en considérant quels sont ceux que l’on appelle prudents : or, il semble que ce qui caractérise l’homme prudent, c’est la faculté de délibérer avec succès sur les choses qui lui sont bonnes et avantageuses, non pas sous quelques rapports particuliers, comme celui de la santé ou de la force, mais qui peuvent contribuer, en général, au bonheur de sa vie. Ce qui le prouve, c’est qu’on appelle prudents, ou avisés, dans tel ou tel genre, ceux qu’un raisonnement exact conduit à quelque fin estimable, dans les choses où l’art ne saurait s’appliquer ; en sorte que l’homme prudent serait, en général, celui qui est capable de délibérer.

Or, personne ne délibère sur ce qui ne saurait être autrement, ni sur ce dont l’exécution n’est pas en son pouvoir. Par conséquent, si la science est toujours susceptible de démonstration, et si l’on ne démontre pas les choses dont les principes pourraient être autres qu’ils ne sont (et toutes choses pourraient être autrement) ; en un mot, s’il est impossible de délibérer sur les choses qui ont une existence nécessaire, il s’ensuit que la prudence n’est ni une science, ni un art. Elle n’est pas une science, parce que tout ce qui peut être fait ou exécuté, peut être autrement [c’est-à-dire, est contingent] ; elle n’est pas un art, parce que ce dont les résultats n’ont rien de matériel