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plomb, dont les Lesbiens font usage dans leurs constructions[1], et qui, s’adaptant à la forme de la pierre, ne conservent pas l’invariable direction de la ligne droite ; ainsi les décisions particulières doivent s’accommoder aux cas qui se présentent.

On voit donc ce que c’est que l’équitable et le juste, et à quelle sorte de juste il est préférable ; et l’on voit encore par là ce que c’est qu’un homme équitable : c’est celui qui, dans ses déterminations et dans ses actions, sait s’écarter de la justice rigoureuse quand elle peut avoir des inconvénients, et qui, s’appuyant toujours sur la loi, sait en adoucir la rigueur. Cette habitude, ou disposition d’esprit,

  1. Les Lesbiens n’employaient point, dans leurs constructions, des pierres taillées avec soin, et posées par assises régulières ; mais, au contraire, ils les plaçaient de manière qu’elles formaient des saillies et des rentrées alternatives, dit un scholiaste (Michel d’Éphèse) cité par Mr  Zell. Quant à la règle lesbienne, outre la mention qu’en fait l’auteur du Voyage du jeune Anacharsis (c. 3, p. 58), Mr  Coray cite encore les réflexions suivantes, de Burlamaqui, dans son Traité du Droit de la nature et des gens (t. 3, p. 482, édit. de 1820) : « Les anciens avaient imaginé deux règles, celle de Polictète (peut-être Polyclète), et la lesbienne. La règle de Polictète était si ferme, qu’aucun effort ne pouvait la plier ; c’était sur elle qu’on réglait celle des ouvriers : si on la compare à la justice, c’est avec raison ; mais si on la compare à la loi, c’est une erreur. La règle lesbienne, au contraire, était de plomb : elle se prêtait à volonté. On n’ajustait pas l’ouvrage à la règle, mais la règle à l’ouvrage ; c’est le contraire de l’équité ; la règle ne méritera plus le nom de règle, si elle demeure une ligne courbe, si on lui fait prendre toutes les formes. »