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un double excès[1]. Mais, lorsque chacun d’eux obtient ce qui lui appartient, alors il y a égalité, et il peut y avoir commerce entre eux, parce qu’il dépend d’eux que cette égalité puisse s’établir. Soit A le laboureur, C la quantité d’aliments, B le cordonnier, D la quantité de son travail égale à la quantité d’aliments ; [il faudra que B soit à A, comme D est à C ; ] au lieu que, s’il n’était pas possible de régler ainsi la réciprocité, le commerce ne pourrait pas non plus avoir lieu.

Ce qui prouve que le besoin est comme le lien unique qui maintient la société, c’est que, quand deux hommes n’ont aucun besoin l’un de l’autre, ou au moins l’un des deux, ils ne font point d’échange ; il en est de même lorsque l’un ne manque

  1. Aristote veut sans doute parler ici de la proportion arithmétique, dont il a été question dans le chapitre précédent, et il veut dire que si l’architecte donne la maison qu’il a construite, c’est-à-dire, le produit de son travail, au cordonnier, qui lui donnera, de son côté, la paire de souliers qu’il a faite, le premier sera doublement lésé, parce qu’il donnera trop, et recevra trop peu ; et l’autre aura un double avantage, en recevant trop, et donnant trop peu. Encore une fois, l’application des formes et des termes de la géométrie ne jette pas beaucoup de lumière sur son raisonnement : elle y répand, au contraire, une sorte d’obscurité. Cependant il y avait un mérite réel à traiter ainsi ces questions, à l’époque où notre philosophe s’en est occupé. Plusieurs de ses vues, à cet égard, sont pleines de justesse ; et on l’admirera plus encore, si l’on considère que la science dont il jette, en quelque sorte, ici les premiers fondements, je veux dire l’économie politique, n’a commencé à être traitée avec quelque succès, par les modernes, que dans la dernière moitié du dix-huitième siècle.