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plus longues espérances. Ils s’aperçoivent facilement des obstacles que créent autour d’eux la raison et la vertu ; et s’il se trouve quelqu’un qui ose leur en faire entendre le sévère langage, ils s’imaginent qu’il leur suffira de le condamner au silence ou à la mort, pour triompher de toutes les résistances ; ils ne songent pas qu’on ne tue ni les sentiments ni les opinions, et que la persécution injuste leur donne, au contraire, en peu de temps, une énergie et une autorité que peut-être elles n’auraient pas obtenues, si on les eût abandonnées à leur libre et naturel progrès. Ainsi, les accusateurs et les juges de Socrate ne virent pas qu’en abrégeant de quelques années peut-être la vie d’un vieillard de soixante-dix ans, ils ne détruiraient ni les idées justes et saines qu’il avait travaillé toute sa vie à répandre parmi ses concitoyens, ni les sentiments nobles et généreux qui se joignent ordinairement à ces sortes de pensées. Ils ne comprirent pas qu’une injustice aussi éclatante que celle qu’ils allaient commettre, consacrait à une même immortalité le triomphe de leur victime et leur propre infamie.

En effet, à peine Socrate eut-il fermé les yeux à la lumière que l’image de sa vertu se montra à ses concitoyens plus imposante et plus belle ; une vive compassion succéda aux préventions injustes, dans le cœur même de la plupart de ceux qui