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qu’ils y doivent apporter, et sur le sujet que je me propose de traiter.

IV. Mais, revenant à notre question, puisque toute connaissance, toute détermination raisonnée, est produite par le désir de quelque bien, quel est celui auquel la politique aspire ? Et, entre tous ceux qui peuvent résulter de nos actes, quel est le bien suprême ? Presque tout le monde, à vrai dire, est d’accord sur son nom ; car les hommes instruits, aussi bien que le vulgaire, l’appellent le bonheur ; et même tous admettent que bien vivre, bien agir, et être heureux, c’est absolument la même chose[1]. Mais, qu’est-ce que le bonheur ? Voilà la question ; et le vulgaire ne la résout pas de la même manière que les sages : car les uns prétendent que le bonheur est quelqu’une de ces choses qui sont visibles et sensibles, comme la volupté, ou la richesse, ou la considération ; et les autres veulent que ce soit autre chose. Souvent l’opinion d’un même homme varie sur ce sujet ; s’il est malade, il voit le bonheur dans la santé ; s’il est pauvre, il le voit dans

  1. Voy. M. M., I. i, c. 4, et Eudem. I, i c. 7, 8, et I. 2, c. I. Aristote, en répétant la même observation dans ces divers endroits de ses ouvrages, semble y avoir attaché quelque importance. Pourquoi les expressions bien vivre, bien agir, et être heureux, qui étaient en effet synonymes dans la langue grecque, ne le sont-elles dans aucune des langues de l’Europe moderne ? Serait-ce parce que la forme des gouvernements y fut toujours moins favorable à la prospérité des hommes vertueux ? ou, en d’autres mots, serait-ce parce que la morale et la politique y ont toujours été séparées l’une de l’autre ?