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Thérèse

Ce fut, mon cher Comte, le lendemain de cette nuit libertine, que je vous parlai pour la premiere fois. Jour fortuné ! ſans vous, ſans vos conſeils, ſans la tendre amitié & l’heureuſe ſympathie qui nous lia d’abord, je coulois inſenſiblement à ma perte. C’étoit un Vendredi ; vous êtiez, il m’en ſouvient, dans l’amphi-théatre de l’Opéra, preſque au-deſſous d’une loge où nous étions placées la Bois-Laurier & moi. Si nos yeux ſe rencontrerent par hazard, ils ſe fixerent par réflexion. Un de vos amis, qui devoit être le même ſoir l’un de nos convives, nous joignit : vous l’abordâtes peu de temps après. On me plaiſantoit ſur mes principes de morale ; vous parûtes curieux de les approfondir, & enſuite charmé de les connoître à fond. La conformité de vos ſentimens aux miens, réveilla mon attention. Je vous écoutois, je vous voyois avec un plaiſir qui m’étoit inconnu juſqu’alors. La vivacité de ce plaiſir m’anima, me donna de l’eſprit, développa en moi des ſentimens que je n’y avois pas