Page:Argens - Thérèse philosophe (Enfer-402), 1748.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
121
Philosophe.

vous pas dit cent fois qu’il n’y a pas de plus grand plaiſir que celui de faire des heureux ?

Je vous ai dit vrai, Madame, reprit l’Abbé ; mais gardons-nous bien de réveler aux ſots, des vérités qu’ils ne ſentiroient pas, ou deſquelles ils abuſeroient. Elles ne doivent être connues que par gens qui ſçavent penſer, & dont les paſſions ſont tellement en équilibre entr’elles, qu’ils ne ſont ſubjugués par aucun. Cette eſpece d’hommes & de femmes eſt très-rare ; de cent mille perſonnes, il n’y en a pas vingt qui s’accoutume à penſer ; & de ces vingt, à peine en trouverez-vous quatre qui penſent en effet par elles-mêmes, ou qui ne ſoient pas emportées par quelque paſſion dominante. De-là il faut être extrêmement circonſpect ſur le genre de vérités que nous avons examiné aujourd’hui. Comme peu de perſonnes apperçoivent la néceſſité qu’il y a de s’occuper du bonheur de ſes voiſins pour s’aſſurer de celui que l’on cherche ſoi-même, on doit donner à peu de per-