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Les bontés qu’il avait pour mon frère, et celles dont il m’honorait, m’avaient attaché à lui. Je faisais de fréquens voyages à Lille, ils furent interrompus tout à coup par une passion que je formai. J’avais retrouvé mon ami Clairac à Douai, où il était ingénieur employé dans la place ; il m’avait mené dans la maison d’un conseiller au parlement où il allait souvent : je devins amoureux de sa fille ; elle n’était point jolie, mais elle avait infiniment de l’esprit. Clairac s’aperçut que j’avais du goût pour elle. Loin de m’en dissuader, il me fit entrevoir que je serais heureux si je persistais. Sa maîtresse allait passer

    amours avec la belle Aline. Cette Aline est, suivant quelques personnes, madame de Bouflers elle-même ; ce que je ne prétends ni assurer ni démentir. On connaît ces jolis vers de la belle duchesse :

    Voyez quel malheur est le mien
    Disait une certaine dame
    J’ai tâché d’amasser du bien
    D’être toujours honnête femme,
    Je n’ai pu réussir à rien.

    Et ceux-ci :

    De plaire un jour sans aimer j’eus l’envie,
    Je ne cherchais qu’un simple amusement :
    L’amusement devint un sentiment,
    Ce sentiment le bonheur de ma vie.