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y avait peu d’apparence que nous pussions attraper la terre ; les matelots se vouaient à toutes les vierges de l’Italie, la Madona del monte negro, Madona del viaggio, Madona del horto[1] ; un cordelier disoit son bréviaire en larmoyant ; deux calvinistes genevois récitaient des psaumes de Marot[2] ; une vieille femme, auprès de qui j’étais, se trouvait si saisie par la peur, qu’elle allait du haut et du bas ; sa fille, jeune beauté de quinze ans, versait des larmes. À chaque flot qui soulevait notre felouque, on eût dit que notre bâtiment était la tour de Babel, à force d’entendre hurler dans tant de langues différentes. J’avais pris ma résolution, et je lisais les Pensées diverses de Bayle, pour tâcher de me distraire. Les gens qui me voyaient lire,

  1. La Notre-Dame du Mont-Noir, la Notre-Dame du Voyage, la Notre-Dame du Jardin
  2. Clément Marot fut valet de chambre de François I après avoir été page de Marguerite de Valois ; il naquit à Cahors en 1495 ; poète aimable et spirituel, on a de lui entre autres poésies, une traduction en vers des psaumes de David ; on les chantait à la, cour de François I. Il était partisan de Calvin plutôt que Calviniste ; sa vie a été une suite de malheurs et d’imprudences. Il est mort à Turin en 1544.