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en titre dès le premier souper, et Dieu sait si elles s’en tenaient à un seul.

Un de mes amis, nommé de Jouques avait pris sur son compte la Campoursi (on verra plus loin ce que c’est que cette courtisane). Elle était jolie, aimable, mais coquette au-delà de l’expression ; son amant au contraire avait un caractère parfait ; il était sincère, généreux, officieux, d’une douceur infinie, et joignait à ces qualités beaucoup d’esprit. Sa maîtresse logeait dans la même maison que la Catalane ; c’est ce qui nous fit naître l’idée de faire des parties moins turbulentes que ne l’étaient nos soupers ; nous résolûmes de manger tous les quatre seuls, le plus souvent que nous pourrions.

La Catalane était mariée, et qui pis est, contre la règle et la bienséance du théâtre, elle avait un mari jaloux. Il fallait pour être tranquille l’amener au point dé n’avoir aucun soupçon ; il aimait infiniment le vin : je lui persuadai que c’était la seule passion dont j’étais susceptible ; je lui dis même en confidence qu’une incommodité que j’avais me rendait, depuis près de deux ans, incapable de voir des femmes ; que le chagrin m’avait réduit à vouloir me retirer du monde entièrement ; mais que j’avais compris ensuite qu’on