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et à boire d’un excellent vin dont nous avions apporté plusieurs bouteilles avec nous.

Il est difficile à quatre Français d’être à table sans que les voisins s’en aperçoivent. Le vin nous inspirant de la gaîté, nous chantions à pleine tête. Un seigneur du pays, premier kiaia du bey, renégat vénitien, dont le jardin était auprès du nôtre, ayant entendu le tapage que nous faisions, demanda d’où venait ce bruit : on lui dit que c’étaient des officiers francais de la suite de l’ambassadeur qui étaient dans le jardin d’un juif. Il eut la curiosité de nous voir ; il nous envoya prier par deux de ses gens de vouloir bien lui faire l’honneur d’aller chez lui ; et, quoiqu’il y eût à peine cent pas d’une maison à l’autre, on nous amena des chevaux de main, dont nous ne fîmes aucun usage. C’est là mode dans ce pays-là d’en agir ainsi avec les personnes qu’on veut traiter avec distinction.

La politesse du renégat ne nous fit point plaisir. Nous attendions nos dames et nous craignions que, ne nous trouvant point au rendez-vous, elles ne retournassent à Tunis. Nous ne pouvions cependant refuser au Turc ce qu’il nous demandait. Notre juif nous assura que nous ne devions pas craindre que