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avant d’expirer je vous laissa dans une triste situation. Le ciel m’est témoin que de tous les malheurs que j’ai essuyés, celui de vous manquer dans l’âge où vous êtes, m’est le plus sensible. Souvenez-vous que êtes née au-dessus de l’état où le sort vous a réduites ; mais ne vous en souvenez que pour prendre les sentimens qui vous conviennent. Vous êtes pauvre ; ainsi vous ne sauriez vivre dans le monde. J’ai remis mille écus à votre belle-mère, pour vous faire religieuse : c’est le meilleur parti que vous ayez à prendre.

» J’étais si affligée que je ne pouvais dire un seul mot. Quelque temps après on m’arracha d’auprès de mon père ; ce fut pour ne plus le revoir. Dès qu’il fut mort, ma belle-mère songea à remplir ses intentions. La troupe étant allée à Montpellier, elle me mit dans un couvent, et consigna les mille écus entre les mains des religieuses. J’étais si jeune alors, que, quoiqu’élevée dans le grand monde, j’embrassai sans peine un état qui m’en éloignait à jamais. Je demeurai un an pensionnaire, n’ayant point encore l’âge pour prendre le voile. Lorsque le temps de ma profession arriva, les billets de banque furent annul-