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pour le reste de ma vie, et cette passion m’a jeté dans un enchaînement de malheurs dont je ne verrai peut-être la fin qu’avec celle de ma vie.

Une troupe de comédiens était arrivée à Aix, presque en même temps que moi. J’allai à la première représentation avec une foule de jeunes gens qui aimaient le spectacle : on représentait l’Andromaque de Racine. L’actrice qui jouait le rôle d’Hermione était une jeune brune âgée de seize ou dix-sept ans ; elle avait la taille fine, de grands yeux noirs, la voix belle et touchante. Quelque attaché que je fusse à la représentation de la tragédie, il me semblait que, d’abord qu’elle sortait du théâtre, la pièce languissait ; j’avais peine à démêler des sentimens qui ne m’étaient pas connus ; j’attendis avec impatience que la pièce fût finie ; j’allai dans sa loge ; je la trouvai remplie d’un nombre de petits-maîtres provinciaux. Un silence, qui ne m’était pas ordinaire, lui fit juger, à ce qu’elle m’a dit depuis, que j’avais assez d’usage du monde. Après lui avoir dit quelques mots, je me retirai. Toute la nuit l’idée de Sylvie m’occupa ; je la voyais sans cesse ; il me semblait que je l’entendais déclamer ; sa voix aussi bien que ses yeux