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il serait à souhaiter que tout le monde écrivit, et c’est aussi ce qui me met en repos sur la vérité de mon récit.

Je suis né à Aix en Provence, d’une famille noble et distinguée dans sa province[1]. Je fus destiné en naissant à être de robe, ainsi que le sont chez moi la plupart des aînés, et quatre frères que j’avais, dont trois étaient chevaliers de Malte et l’autre abbé, ont tâché de faire leur fortune, les premiers dans le service et le dernier dans l’église. L’état qu’on me voulait faire prendre me paraissait affreux ; je le regardais comme le tombeau des plaisirs. La vie voluptueuse d’un officier avait pour moi des charmes bien plus brillans que le pénible soin d’instruire et de juger les procès d’autrui.

Je le témoignai plusieurs fois à mon père qui, lassé plutôt que convaincu par mes importunités, me plaça dans le régiment de Toulouse, auprès d’un de mes parens. Je n’avais alors que quatorze à quinze ans ; je me regardais comme l’homme du monde le plus heureux d’avoir secoué le joug de mille maîtres incommodes. Deux ans s’écoulèrent dans cette félicité parfaite. La peste qui pour lors

  1. Voyez la notice hisrorique qui précède.