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qui devenait en quelque sorte l’arbitre de la solution désirée, ils le firent dans les termes les plus propres à le rendre gracieux à leur égard. Parmi ces étrangers, figuraient en première ligne les sieurs Goupil, Martelly, Duroure et autres Français, qui se croyaient plus spécialement menacés d’une déchéance, sinon d’une expulsion, d’après certains passages du discours de Saint-Martin[1]. Il est probable qu’ils n’ignoraient pas la mission remplie au mois de mai précédent par M. Dupetit-Thouars, leur compatriote, sans en connaître absolument le but et le résultat : l’occasion dut leur paraître convenable pour en appeler aussi « à la prudence et aux lumières du chef immortel » qui présidait aux destinées de la République.

Il n’en fallait pas davantage pour porter Boyer à ne voir « qu’intrigues et manœuvres coupables » dans les associations formées par les commerçans nationaux, à raison des discours prononcés à la Chambre et de l’adresse de celle-ci qui se terminait, en recommandant aux citoyens de nommer à la prochaine législature, des représentans possédant des lumières. La vivacité de son caractère le fit

  1. Quelque temps après, il parut au Port-au-Prince une petite brochure contenant une lettre de Martelly adressée an grand économiste J.-B. Say, et la réponse de ce savant, sur les questions sonlevées par les discours des deux orateurs de la Chambre : leurs idées y étaient combattues et condamnées, comme contraires à la prospérité d’Haïti. Nous ignorons si ce fut réellement J.-B. Say qui était l’auteur de la réponse à lui attribuée, mais elle avait une conclusion toute naturelle.

    Dans la relation des faits de 1820, nous en avons omis un qui eut quelque influence aussi sur les discours prononcés à la Chambre. Il s’était formé à la capitale une société dont le but était de se livrer aux divertissemens décens, tels que bals, musique, etc. Dirigée parle général Bonnet, avant la réunion du Nord, elle était composée de la plupart des commerçans nationaux et autres citoyens, et des Français que nous venons de nommer, Goupil, Martelly, etc. Mais, au premier bal qui eut lieu, accompagné de banquet, le vin de Champagne échauffa les têtes ; une querelle survint entre l’Haïtien Saint-Félix Doutre et le Français Eymond, qui exerçait la médecine et la chirurgie ; le premier frappa le second qui lui riposta par un coup de bistouri, heureusement peu profond. La société fut dissoute dès ce premier jour ; on pensa qu’il y avait incompatibilité d’humeur entre Haïtiens et Français ; de là, l’irritation qui s’exhala, en 1821, de part et d’autre.