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prononça en chaire pendant un long sermon adressé aux fidèles qui remplissaient l’église dans le temps de sa plus forte irritation ; il leur dit : « Vous êtes d’une espèce distincte de celle des autres hommes, car vous ne leur ressemblez que par la figure. »

Comparons ce langage à celui d’un autre évêque que ce parti religieux avait en horreur, et qui avait dû sa nomination à la constitution civile du clergé, en France. À peu près au moment où M. de Glory allait partir d’Haïti, le Président reçut de H. Grégoire une lettre datée de Paris, le 22 juin 1821, d’où nous extrayons les passages suivans :

« La République d’Haïti, sortie du sein des orages, et qui, depuis 18 ans brillante de jeunesse, subsiste glorieusement, est, par le fait même de son existence, une réponse victorieuse à toutes les impostures disséminées en Europe contre enfans de l’Afrique… Les Haïtiens réunis en un corps politique et s’élevant tout à coup au rang des nations civilisées, présentent un des phénomènes les plus étonnans du xixe siècle. Je m’identifie à leur existence, j’applaudis à leurs succès[1]… En prenant la défense des Africains et de leur postérité, j’obéissais à mon cœur et j’acquittais un devoir. Enfans du même Dieu, nous ne composons qu’une seule famille. Voler au secours des opprimés est une obligation solidaire entre les hommes, entre les peuples…

  1. Si l’on attribuait ces paroles de Grégoire à l’engouement d’un négrophile, je citerais celles qui suivent, prononcées à la tribune dans la séance du 19 mars 1822, par M. Lainé, ex-ministre de Louis XVIII et l’un des hommes les plus opposés à Grégoire : » Je ne sais pas, dit-il, si la Providence, dans ses décrets, prépare par Saint-Domingue, l’adoucissement du sort de la portion la plus malheureuse de l’espèce humaine. Il est impossible, de ne pas dire que la population de cette île commence à se civiliser ; elle a donné sur les corsaires et les pirates qui infestent les mers, des exemples qui n’ont pas toujours été suivis… » M. Laine était du conseil privé tenu en janvier 1821, dont j’ai parlé au chapitre précédent ; il avait contribué aux résolutions modérées qui y furent prises, et par la suite, il se montra encore favorable aux Haïtiens, notamment après la révolution de 1830.