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M. Dupetit-Thouars n’avait aucuns pouvoirs du gouvernement français, il n’était que porteur de la lettre d’ouvertures de M. Esmangart ; mais on voit par la sienne du 8 mai, qu’il était non-seulement informé de ce que désirait ce gouvernement, mais chargé de pressentir les dispostions de Boyer à cet égard, où de lui insinuer les idées qu’il a exprimées ; car, autrement, il eût été disgracié. Comme il avait dit dans sa lettre du 4 que « les bases d’un arrangement devaient être honorablement calculées pour les deux pays, que les prétentions de la France étaient justes et modérées, » Boyer ou son secrétaire général devait l’amener à s’ouvrir à ce sujet, pour être plus à l’aise dans les propositions que le gouvernement haïtien lui-même pourrait communiquer à M. Esmangart, bien qu’il était impossible que ces propostions fussent autres que celles formulées par Pétion : — indemnités en faveur des anciens colons, rétablissement régulier des relations commerciales[1].

Tel fut l’objet de la réponse du Président, en date du 10 mai, à la lettre de M. Esmangart. Il lui disait :

« Vous avez dû, Monsieur le préfet, pendant votre séjour

  1. Il paraît que, dans son désir de connaître les vues du gouvernement français par M. Dupetit-Thouars, Inginac surtout ne se sera fait aucun scrupule de lui donner beaucoup d’espoir ; qu’il aura même semblé accueillir l’idée du protectorat de la France, et que Boyer aura paru à cet envoyé ne pas repousser la même idée : car il l’a dit dans son rapport, peut-être aussi pour se justifier d’avoir déclaré les vœux de la France par écrit, au lieu de s’être borné à insinuer cette idée dans la conversation. Il a même prétendu qu’un projet avait été rédigé à ce sujet par ordre de Boyer, et que le Président l’ayant communiqué aux généraux Magny et Quayer Larivière, Inginac saisit ce moment pour le porter à y renoncer, étant entièrement « à la dévotion des Anglais. » Dans ses Mémoires de 1843, page 58, Inginac raconte que M. Dupetit-Thouars lui en fit le reproche plus tard, sans doute dans la mission qu’il remplit à Haïti, en 1835.

    Nous affirmons que ce loyal officier qui, dans cette seconde mission, a réellement jeté les bases des traités de 1838, par son rapport fondé sur l’équité, a été dans l’erreur quand il a cru que Boyer voulait admettre le protectorat de la France. En 1821, après la réunion du Nord, il pouvait moins que jamais s’écarter des vues de Pétion, surtout ayant alors la perspective de la réunion de l’Est a la République. Sa propre gloire s’y opposait ; son devoir envers le pays, encore plus.