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affluer dans les villes ou bourgs où la plupart d’entre eux vivent misérablement, quelquefois d’une manière désordonnée ; mais il n’était pas possible qu’il en fût autrement, quand ils voyaient les propriétaires préférer ce séjour à celui de leurs habitations rurales, par goût ou par nécessité, quand une foule de séductions les y attirent également dans l’espoir d’y trouver le bien-être. Ce qui s’est toujours vu à Haïti, depuis 1791, s’est vu et se voit encore dans d’autres pays très-civilisés, par une infinité de causes[1]. Mais ce qu’il y eut de singulier, ce qui prouve comment les hommes savent éluder les lois ou se prémunir contre leur rigueur, c’est qu’à cette époque déjà reculée, presque toutes les personnes qui étaient l’objet de l’arrêté du Président, imaginèrent de prendre une patente quelconque, afin de prouver qu’elles exerçaient une profession ou une industrie dans les villes ou bourgs qu’elles habitaient ; par là, l’effet de la mesure ordonnée fut nul, les autorités civiles et militaires étant paralysées devant cette ingénieuse invention : le fisc en profita, au détriment de l’agriculture qui lui eût procuré un meilleur résultat.

Le 14 avril, toujours dans la préoccupation des affaires extérieures, Boyer fit paraître une nouvelle proclamation « au peuple et à l’armée, » où il disait que le gouvernement était dans l’impérieuse obligation de prendre des mesures de sûreté générale, pour « le salut du peuple qui est la loi suprême. » En conséquence : — « 1° Très-expressés défenses sont faites, au nom du salut public, à n’importe

  1. Au temps où nous écrivons ces lignes (1858), les jonrnaux de France font remarquer la tendance des paysans de cet empire, à fuir la campagne pour se réfugier dans les villes ; diverses causes contribuent à cette émigration préjudiciable à l’agriculture. Cependant, les propriétaires leur tracent un exemple opposé à celui que donnent les propriétaires en Haïti ; ils résident sur leurs biens et les font cultiver sous leurs yeux.