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En comparant les dispositions de ces deux lois, on reconnaît que si Toussaint Louverture et l’assemblée centrale donnèrent la préférence aux liens légitimes du mariage, d’après les idées religieuses de ce chef surtout, ils satisfirent néanmoins aux exigences de l’époque où ils agissaient, — tandis que Pétion et le sénat prirent en grande considération l’état des mœurs générales de leur époque, pour laisser au temps son action inévitable sur elles par la modification successive des idées, et qu’ils ne voulurent pas brusquer cet état de choses, n’ayant pas la prétention de réformer les mœurs tout d’un coup, comme pensait Christophe en 1807. L’expression de ces vues est même formelle dans le 2e paragraphe du message de Pétion au sénat, et il déclara en prendre la responsabilité sur lui-même.

Sans doute, ses idées personnelles sur le mariage, plus que ses mœurs privées, influèrent sur la loi ; mais on voit aussi prédominer dans ce message, outre les vues du législateur prudent, patient, qui attend beaucoup du temps, un sentiment de justice envers un grand nombre, le plus grand nombre de ses concitoyens qui se trouvaient, comme lui, enfans naturels et pères de tels enfans.

Cependant, n’était-ce pas faire trop de concessions aux mœurs nées du régime colonial, que d’autoriser un homme marié à reconnaître un enfant adultérin, selon le message ? Si cette expression n’est pas dans la loi elle-même, son article 15 ne consacre pas moins cette faculté ; car « un enfant naturel, reconnu par un père déjà engagé dans les liens du mariage, » est bien ce qui constitue l’enfant adultérin [1].

  1. À moins cependant que cette reconnaissance n’eût eu lieu au profit d’un enfant naturel,