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le despotisme dégénère facilement en tyrannie, parce qu’il exige une tension continuelle des ressorts de l’autorité pour se faire obéir, et que le despote arrive ainsi aux actes les plus cruels[1].

Mais, que disons-nous ? L’instinct du crime, de la cruauté, de la férocité, ne fut-il pas plutôt dans la nature exceptionnelle de cet homme toujours altéré de sang ? Pour en juger, qu’on se rappelle sa conduite pendant les hécatombes ordonnées par Toussaint Louverture, en 1799 ; — après le siège de Jacmel, en 1800 ; — dans la répression de la révolte des cultivateurs du Nord, en 1801 ; — à l’égard de ces cultivateurs, lorsqu’il les désarmait par ordre de Leclerc, an 1802 ; — envers les habitans de l’Est, dans la campagne de 1805 ; — dans l’insurrection de la péninsule du Nord et au siège du Môle, de 1807 à 1810 ; — envers tes blessés et les prisonniers de Sibert, en 1812 ; — dans les immolations qu’il ordonna durant la même année, et qui couvrirent de deuil l’Artibonite et le Nord ; — et, enfin, dans le sacrifice journalier des innombrables victimes qui périrent suc-

  1. Dans la Notice sur H. Christophe, déjà citée, par J.-B. Francisque, on lit ce qui suit :

    « Le général en chef (Christophe) conspira avec Pétion… Dessalines fut tué… On convint de donner à l’État une forme libre et républicaine  : idée digne des anciens, et belle et magnanime… Une constitution fut établie. Sauf quelques défauts non capitaux, elle était un chef-d’œuvre de la vraie science sociale : les principes éternels et sacrés de la liberté y étaient posés avec toute leur clarté et leur vérité, et rappelaient l’homme à sa dignité primitive… Mais Christophe ne voulut pas accepter cette constitution qui parut, à ses yeux, lui laisser trop peu d’autorité… Il se qualifie, dans ses actes, Généralissime des forces de l’État… Le Généralissime se fit couronner Roi, et donna à penser aux bons citoyens que la destinée de ce pays était d’être toujours régi par des chefs absolus, quelque dénomination qu’ils prissent. L’on vit alors le spectacle d’une cour, d’une noblesse, des ducs, des princes, etc., et une monarchie héréditaire… Son gouvernement reposait principalement sur la terreur dont il en avait fait le ressort. Aussi fit-il tout trembler pendant sa vie, et s’en servit-il pour tout ployer sous sa volonté orgueilleuse et arbitraire. Il fit sentir sa dureté également au peuple et à l’armée, qu’il condamnait à des travaux continuels… »

    N’ous sommes heureux d’avoir retrouvé cette appréciation judicieuse du règne de H. Christophe, par un citoyen éclairé de notre pays.