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éprouvait pas, et qu’il était soigné par les mêmes personnes de sa famille ?

Nous trouvons dans l’Abeille haïtienne, du 3 avril, ce qui suit :

« Le 22 mars dernier, la fièvre le saisit. On lui prodigue les soins les plus empressés ; mais il refuse les remèdes qu’on lui présente ; il ne veut même prendre aucun aliment, malgré les instances les plus vives de sa famille, de ses amis, et le 29 du même mois, à 4 heures du matin, il expire dans ce calme de l’âme qui caractérise l’homme irréprochable. »

Comme on le voit, cette narration semble insinuer un refus volontaire de la part de Pétion, de prendre ce qu’on lui offrait ; une sorte de résolution arrêtée de terminer sa précieuse existence par l’inanition ; enfin un suicide combiné et long, puisque la maladie dura sept jours entiers[1]

Ce fut l’opinion assez généralement adoptée alors, parce que toujours, lorsqu’une vie chère à tout un peuple est abrégée trop promptement, les vœux formés pour sa prolongation, les espérances déçues, imaginent des causes contraires à l’ordre naturel des choses auquel tout être humain est assujéti[2].

Cependant, nous ne nous arrêtons pas même aux

  1. Pétion n’aurait pas pu vivre aussi longtemps dans une abstinence complète ; il faut donc croire qu’il a pris au moins des tisanes, etc.
  2. Cet article de l’Abeille haïtienne, écho de toutes les appréciations erronées de l’époque, paraît avoir été cause de toutes celles qui ont été reproduites dans les livres étrangers, avec plus ou moins d’amplifications. Il est inutile de citer ici leur texte à ce sujet, et en cela on peut dire que louis auteurs sont excusables de s’être trompés sur les causes probables de la mort de Pétion. Si, d’après ce journal, « Pétion expira dans le calme de l’âme, » un tel état moral ne s’accorderait pas avec la pensée, la volonté d’un suicide. On n’aura pas fait attention, sans doute, qu’en se refusant aux instances de sa famille et de ses amis, il était déjà dans un état comateux.