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constance, nous n’hésitons pas à désapprouver cette délégation du pouvoir national en faveur du chef de l’État, même en faveur de Pétion dont nous admirons le plus la sagesse politique, le patriotisme éclairé, le généreux dévouement à son pays[1].

Nous concevons et approuvons l’élection à vie du Président d’Haïti, par une infinité de considérations qui se rattachent au tempérament, au caractère, à l’état moral du peuple haïtien, etc. ; mais nous ne saurions voir du même œil le droit qui lui fut accordé de désigner son successeur, surtout lorsque la constitution disposait ainsi en faveur de tous autres chefs qui succéderaient au Fondateur de la République. C’était pousser trop loin la crainte des perturbations politiques, détruire toute émulation généreuse parmi les citoyens pour se recommander à l’estime publique et mériter son suffrage, et inspirer à un successeur désigné l’idée qu’il ne devait rien à la volonté nationale.

Dans un État républicain, il faut que le chef du gouvernement sache et se rappelle chaque jour, qu’il tient son pouvoir de cette volonté qui se manifeste par le corps chargé de nommer à un tel office ; et mieux vaut laisser à chacun cette louable présomption de s’en croire digne par une conduite qui puisse être remarquée.

Sans doute, dans un tel État, on voit beaucoup de ces ambitions vulgaires qui n’aspirent à gouverner que pour leur intérêt personnel ; mais le vrai mérite se découvre toujours, — à moins qu’un pays ne se trouve dans ces

  1. T. Louverture et Dessalines n’ont pas eu le temps de choisir leur successeur ; Pétion n’a pas usé de ce droit ; Christophe avait un héritier de son trône qui a péri, comme lui, de mort violente ; enfin, Boyer a donné sa démission au moment où il allait être renversé. L’expérience a donc prouvé la vanité d’une telle disposition.