Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 8.djvu/17

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Après avoir prescrit à ses satellites de n’épargner ni le sexe ni l’âge dans l’Artibonite, il se rendit au Cap pour ordonner les mêmes crimes dans le Nord. Il trouva partout des exécuteurs dociles à ses ordres barbares : parmi tant d’autres, l’opinion publique désigna, comme ayant montré la plus aveugle obéissance, Bazin et le général Jean-Philippe Daut, dans l’Artibonite, et les généraux Charles Charlot et Jean-Baptiste Riché, dans le Nord.

Mais il est consolant de pouvoir citer aussi des hommes honorables, parmi les noirs, qui se refusèrent à l’exécution de ces assassinats, qui se révoltèrent contre l’ordre atroce de leur infâme chef, en faisant ainsi une distinction intelligente entre l’obéissance qui est légalement due à tout gouvernement régulier, et l’aveugle soumission que prescrit et exige un odieux tyran[1]. Ces officiers humains passèrent au service de la République, en sau-

  1. Étant à Santo-Domingo, en 1828, j’entendis le général Riché dire à une dame qu’il appelait sa commère : « En m’envoyant ici pour être sous les ordres du général Borgella, le Président d’Haïti m’a recommandé de lui obéir en tout ce qu’il m’ordonnera pour le bien du service. Je suis militaire, je sais que je dois obéir aveuglément à mon chef. Donc, ma commère, si le général Borgella m’ordonnait de vous arrêter et de vous tuer, j’exécuterais cet ordre sans hésitation. Je n’ai point à discuter ses motifs ; c’est à lui d’en rendre compte au président. C’est ainsi que, dans le Nord, j’ai exécuté les ordres du Roi, en faisant tuer hommes, femmes et enfans de couleur. Mais, l’on m’a accusé injustement d’avoir fait périr une femme et les enfans qu’elle avait eus de ma cohabitation avec elle : c’est faux (a).

    Voila a quoi aboutit un faux raisonnement, le préjugé fondé sur l'obéissance passive à laquelle le militaire est tenu envers son chef. Riché a sans doute cru que c’était un devoir dans tous les cas possibles, tandis que cette obéissance passive n’est due que pour faits militaires et légaux, jamais pour des actes de cruauté.

    Devenu à son tour Chef de l’Etat, RICHÉ s’est distingué et a honoré son pays par une conduite digne des éloges de la postérité et en suivant les vrais principes de gouvernement envers tous ses concitoyens. L’historien qui écrira sa courte administration devra lui consacrer de belles pages.

    (a) On a su, en effet, d’une manière certaine, que ce fut Charles Charlot qui commit cette atrocité.