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du Roi d’Haïti s’y présentèrent, chargés d’une mission semblable à la précédente. Cette singerie eût pu lasser la patience de Pétion, si la population du Port-au-Prince ne se fût amusée à l’accueillir comme une représentation nouvelle des bigarrures qu’elle venait de voir dans le récent carnaval.

Les envoyés de Christophe s’y présentèrent le 18 février, chacun dans un costume différent par la couleur de leurs vêtemens. Leurs habits avaient une forme et une ampleur qui égalaient le grotesque de leurs chapeaux militaires aussi larges que hauts. Ils étaient tous bardés de cordons et de croix, et portaient chacun une longue queue poudrée comme toute leur chevelure ; ils avaient de grandes bottes à l’écuyère. C’était absolument la reproduction des costumes plus ou moins bizarres qui s’étaient produits pendant les jours gras au Port-au-Prince, et l’on était alors en plein carême.

Aussi, à l’apparition de ces envoyés et dans leur marche depuis la porte Saint-Joseph jusqu’au palais de la présidence, par la rue Républicaine ou Grand’rue, le cortège populaire qui les accompagna ne fit que grossir à chaque instant. Les hommes, les femmes, les enfans, tous en gaîté par ce spectacle qui les réjouissait, criaient dans leur langage créole : « Cé Pangnols ! Ce mascarade ! Gardé yo donc ! Ça yo vini chache ?[1] » On sait d’ailleurs à quel point la population de cette ville pousse son esprit railleur, et l’on peut se faire une idée de l’accueil qu’elle fît aux envoyés du Grand Henry.

C’étaient : 1° Dupont, l’ancien compagnon d’armes de

  1. « Ce sont des Espagnols ! C’est une mascarade ! Regardez-les donc ! Que viennent-ils chercher ? » À cette occasion, Dupré fit une épigramme sur Christophe et ses envoyés, dont nous ne nous ressouvenons plus.