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Tel n’était pas le cas, quand Christophe délibérait à Saint-Marc sur les assassinats qu’il voulait ordonner. On n’éprouvait dans son royaume aucun ressentiment contre la classe des mulâtres, par rapport aux défections imputables à deux d’entre eux ; car la plus grande partie de son armée, au siège du Port-au-Prince, eût fait défection à l’imitation des trois corps qui passèrent au service de la République, s’il ne fût arrivé promptement à Drouillard pour décider de lever ce siège. La cause de la défection de la flotille et de celle des troupes, — nous croyons l’avoir prouvé, — était dans le régime inhumain établi depuis 1807 et renforcé par des dispositions de lois pénales d’une atrocité révoltante. Eutrope Bellarmin et Marc Servant ne furent que les interprètes d’une pensée commune à tous ceux qui en souffraient comme eux. Quelle que fût leur énergie, ils n’eussent pas réussi dans leur entreprise, ils n’eussent pas même osé en concevoir l’idée ni la communiquer, s’ils n’avaient pas reconnu dans leurs frères noirs une disposition à secouer ce joug ignoble. Cette disposition se manifestait chaque jour dans le siège, par les désertions individuelles qui s’opéraient parmi les assiégeans et qui faisaient entrer au Port-au-Prince des soldats noirs[1].

  1. Dans une Notice sur H. Christophe, publiée sur la Feuille de commerce du 13 mars 1842, n° 11, le citoyen Jean-Baptiste Francisque, qui devint ministre de la justice, etc., parlant du siège du Port-au-Prince, a dit de Christophe :

    «… Il y renouvela de terribles exemples de sévérité ; et a la veille de l’emporter, il vit ses efforts échouer par une nouvelle défection de ses troupes qui passèrent du côté de l’ennemi avec Marc Servant et quelques autres chefs, d’intelligence avec Pétion. Craignant avec raison les conséquences de cet événement, il lève le siège avec précipitation et repasse dans le Nord, frémissant de colère et de rage. Imputant aux hommes de couleur, qu’il se représente, dans le délire de son imagination, comme autant de conjurés qui avaient résolu sa ruine, cette dernière défection, celle de sa flotte, les guerres précédentes qu’il avait soutenues, et croyant des conseillers pervers, il proscrit, il ordonne…, rien ne fut épargné… Et d’épouvantables scènes ont ensanglanté la fin de cette année 1812 et 1813. Ainsi dévoua-t-il, le Tyran, sa mémoire à l’exécration  !… »