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rebalais, passer soit à Santo, à la Croix-des-Bouquets, ou à Jumécourt[1]. D’après les dispositions arrêtées d’avance par Pétion, et que le général Boyer suivit alors, on obviait à ces risques ; car les troupes occupant ces différens points se reliaient entre elles et pouvaient s’avertir mutuellement, pour se concentrer autant que possible sur le point le plus menacé.

On a vu la mention de l’ordre du jour du président, en date du 12 janvier, annonçant la prochaine invasion de Christophe ; mais, quelques jours auparavant, il s’était passé un fait vers la Croix-des-Bouquets, qui est curieux. Une prétendue Vierge avait apparu à des cultivatrices de la plaine ; elles disaient l’avoir vue sur un arbre du figuier maudit[2], vêtue de linge blanc ; sa figure était cachée par un voile blanc. Elle avait dit à ces crédules femmes, qu’une puissante armée viendrait bientôt dans la plaine, et qu’il ne fallait pas lui résister, parce que ce serait désobéir à Dieu. Après cette exhortation, cette Vierge s’était envolée dans le ciel, disaient ces imbéciles, ou ces commères, qui propagèrent si bien cette ridicule fable, que bientôt presque tous les cultivateurs et leurs femmes se rendaient incessamment au pied du figuier maudit, pour prier : des dévotes, des âmes faibles de la ville, allèrent aussi faire chorus à ces croyances superstitieuses[3].

Le président jugea la chose selon son vrai sens : que c’était une manœuvre du Défenseur de la Foi, qui essayait d’exploiter l’ignorance, afin de ne pas rencontrer

  1. Elle eût pu encore pénétrer dans la plaine, par la route des Crochus.
  2. On connaît toutes les superstitions qui se rattachent, dans le pays, à l’arbre qu’on nomme ainsi.
  3. À la fin de 1811, et encore au commencement de janvier 1812, on voyait une comète à longue queue, au nord-ouest du Port-au-Prince : les esprits faibles étaient prédisposés à la superstition.