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elle se communiqua avec la rapidité de l’éclair parmi les braves défenseurs de la République. Chacun sentait qu’elle ne pouvait plus périr, puisque la Providence avait sauvé son fondateur.

Quelques instans après, il arrivait au grand galop, entouré de ses compagnons, moins. Bédouet qu’il avait expédié de suite pour donner l’ordre aux colonels des 22e et 23e demi-brigades, sortant de Jacmel, d’arriver à marche forcée au secours de la ville[1].

Ce fut au cri de : Vive le général Pétion ! mille fois répété, que le divisionnaire illustre fut reçu dans sa ville natale, envahie par le tumulte des armes. S’il éprouva une satisfaction indicible du courage qu’avaient montré ses compagnons d’armes en la défendant si glorieusement contre le despotisme, en ne désespérant pas de la jeune République, il eut cependant le cœur affligé par l’aspect qu’offrait cette cité : les rues étaient presque désertes, les maisons ouvertes et abandonnées par leurs habitans. Déjà, après avoir d’abord repoussé l’ennemi et non auparavant, comme le dit l’Histoire d’Haïti[2], des soldats se mêlaient à des pillards qui en profitaient pour prendre ce qui était à leur convenance ou à celle de leurs familles.

Parcourant les lignes de la place et semant des éloges chaleureux à ces militaires, Pétion les autorisa à continuer de faire leur butin, mais à condition de le porter aux postes, afin d’être toujours prêts à repousser l’ennemi.

  1. Âgé alors d’environ 10 ans, je me trouvais sur la route de Léogane, à côté de ma mère qui fuyait comme toutes les femmes. J’ai vu Pétion escorté de ses compagnons, se rendant en ville. Les femmes lui criaient : « Courage, général, Dieu est avec vous ! Il vous conservera pour nous et nos enfans. » Et lui, répondant à ces témoignages d’une sympathie confiante en la Providence, les remerciait de leurs vœux, en leur assurant que bientôt elles pourraient revenir dans leurs foyers.
  2. Hist. d’Haïti, t. 3, p. 379.