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à coups de sabre : ces dragons le reconnurent alors ; il avait servi si longtemps dans l’Artibonite ! Plusieurs des officiers qui avaient été ses amis regrettèrent ce valeureux jeune homme de 28 ans. Son dévouement, marqué au coin d’un patriotisme si intelligent, méritait ces regrets, comme celui de Charlotin Marcadieu en avait obtenu au Port-au-Prince[1].

Entre ces deux officiers, on ne sait lequel louer et admirer le plus. En secourant Dessalines, fondateur de l’Indépendance, Charlotin s’exposa au danger imminent de perdre la vie. En prenant le chapeau de Pétion, fondateur de la République, Coutilien ne s’exposa pas moins à succomber immédiatement, bien qu’il y eût pour lui quelque chance d’échapper à l’ennemi. Chacun avait la conscience d’un devoir sacré à remplir. Charlotin mourut, pour être resté fidèle à un chef qu’il aimait et dont la carrière était finie : il y eut courage, résignation sublime de sa part. Coutilien mourut, en se montrant également attaché à la République, lorsqu’il sauva le général qu’il estimait et qui en était l’espoir : il y eut courage, dévouement héroïque de sa part. On ne peut dire que ce dernier montra plus de patriotisme que son devancier ; car l’un et l’autre servirent leur patrie, en offrant l’exemple de vertus militaires aussi rares.

Pétion le comprit ainsi, en honorant de sa présence les funérailles de ces deux Héros. Le peuple et l’armée pen-

  1. Le cadavre mutilé de Coutilien fut trouvé là, après la retraite de Christophe dans le Nord : il fut apporté en ville où Pétion lui fit faire des funérailles dignes de sa belle action. On lisait encore récemment sur la pierre de sa trop modeste tombe ces mots : « Philippe Marc Jérôme Coustard… né le 10 novembre 1778, met le 1er janvier 1807… son civisme… immortaliser… vaillance. » Le temps n’a pas respecté cette épitaphe ; mais son nom et son action peuvent-ils être oubliés ?