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il s’adressait à l’homme le moins enclin à la sainteté d’un tel lien ; qui avait des idées fort regrettables sur l’institution qui crée réellement la famille dans la société civile ; et qui, devenu à son tour chef de l’Etat, eut le tort, impardonnable aux yeux de la religion, de la morale et même de la politique, de n’en pas tracer l’exemple a ses concitoyens pour les porter à cet acte. En outre, à cette époque, Pétion avait une femme chez lui ; jeune ; belle, gracieuse, elle était déjà mère d’une enfant qu’elle eut pour lui dans cette même année[1].

Pétion n’était pas le seul qui fût dans ce cas, vivant maritalement avec une femme qui n’était pas son épouse, par suite des anciennes mœurs coloniales : l’existence de sa fille l’attachait à elle et on ne lui en connaissait point d’autres. L’empereur qui traçait le fâcheux exemple d’entretenir des concubines dans toutes les villes, malgré ses liens avec sa vertueuse épouse, né pouvait donc pas exiger raisonnablement, de Pétion, qu’il abandonnât sa femme et son enfant pour contracter cette union légitime avec sa fille Célimène. De plus, Pétion tenait sur cette jeune personne du sang impérial, un secret ignoré jusqu’alors de son père : elle avait failli dans ses relations avec Chancy, neveu de Toussaint Louverture, et cet aide de camp de Pétion lui avait tout avoué.

Plein de l’idée qui lui souriait, Dessalines arriva au

  1. Célie, cette enfant bien-aimée, adorée de Pétion, naquit en 1805. À ce sujet, il nous faut relever ce qui est un injuste reproche de la part du M. Madiou : il dit de Pétion « qu’il mourut sans même avoir reconnu une enfant conçue sous son toit avant ses derniers momens. » Cet auteur vent sans doute parler d’Hersitié qui naquit en novembre 1818, huit mois apres la mort de Pétion. Comment celui-ci aurait-il pu savoir cette conception et prevoir sa propre mort, pour déclarer sienne, une enfant posthume ? Quant à Célie, elle fut reconnue par Pétion, comme sa fille naturelle ; et c’est à ce titre qu’elle hérita de ses biens.