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établi par Toussaint Louverture, et auquel les militaires tiennent beaucoup. Dessalines lui-même avait jalousé Charles Bélair, parce qu’on pensait qu’après la mort de Moïse, le vieux gouverneur de Saint-Domingue avait des vues sur ce jeune général. Il fallait donc l’engager à ne pas exprimer cette pensée, le convaincre du danger qu’il y aurait à mécontenter, non-seulement H. Christophe, mais tous les autres généraux les plus anciens ; lui dire de réserver cette intention intérieurement, mais de ne pas la manifester.

Lorsqu’un homme éclairé sert auprès d’un chef qui l’est moins que lui, il doit à son supérieur un dévouement entier pour lui inspirer desidées salutaires. Mais B. Tonnerre était trop passionné, trop ambitieux lui-même, pour pouvoir être un homme habile en politique : or, la politique commandait cette réserve de la part de Dessalines, à moins d’admettre qu’il voulût par là créer une rivalité entre les généraux, en excitant l’ambition des plus jeunes : ce qui présentait encore un danger sérieux ; car un tel machiavélisme ne pouvait pas réussir lorsque d’ailleurs, par l’acte de sa nomination, il était évident qu’il allait enlever à tous les généraux, les prérogatives que leur donnait le titre de conseillers d’État.

Il est plus probable qu’il y avait franchise dans cette déclaration de Dessalines, quand on considère par quel motif il a repoussé l’idée de la création d’une noblesse dans son empire ; mais cette franchise était une imprudence. En effet, parmi les généraux de la création de Toussaint Louverture, de l’ancien parti de l’empereur, H. Christophe avait le plus de prétentions à lui succéder ; il était certainement moins ancien que Clervaux, mais celui-ci était déjà frappé d’une maladie qui faisait prévoir sa fin pro-