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ront des préservatifs contre les surprises de nos ennemis, et nous prémuniront contre toute idée d’indulgence à leur égard. Si les passions sobres forment les hommes communs, les semi-mesures arrêtent la marche rapide des révolutions.

Puis donc que vous avez jugé qu’il était de l’intérêt de l’État que j’occupasse le rang auquel vous m’avez élevé, en m’imposant ce nouveau fardeau, je ne contracte aucune nouvelle obligation envers mon pays ; dès longtemps je lui ai fait tous les sacrifices. Mais je sens qu’un devoir plus grand, plus saint, me lie ; je sens, dis-je, que je dois conduire rapidement cette entreprise à son but, et, par des lois sages, mais indulgentes pour nos mœurs, faire que chaque citoyen marche dans sa liberté sans nuire aux droits des autres, et sans blesser l’autorité qui veille au bonheur de tous.

En acceptant enfin ce fardeau aussi onéreux qu’honorable, c’est me charger de la somme du bien ou du mal qui résultera de mon administration. Mais n’oubliez pas que c’est dans les temps les plus orageux que vous me confiez le gouvernement du vaisseau de l’État.

Je suis soldat, la guerre fut toujours mon partage, et tant que l’acharnement, la barbarie et l’avarice de nos ennemis les porteront sur nos rivages, je justifierai votre choix ; et combattant à votre tête, je prouverai que le titre de votre général sera toujours honorable pour moi.

Le rang suprême auquel vous m’élevez m’apprend que je suis devenu le père de mes concitoyens dont j’étais le défenseur ; mais que le père d’une famille de guerriers ne laisse jamais reposer son épée, s’il veut transmettre sa bienveillance à ses descendans et les apprivoiser avec les combats.

C’est à vous, généraux et militaires, qui monterez après moi au rang suprême, que je m’adresse. Heureux de pouvoir transmettre mon autorité à ceux qui ont versé leur sang pour la patrie, je renonce, oui, je renonce formellement à l’usage injuste de faire passer ma puissance à ma famille.

Je n’aurai jamais égard à l’ancienneté, quand les qualités requises pour bien gouverner ne se trouveront pas réunies dans le sujet. Souvent la tête qui recèle le feu bouillant de la jeunesse contribue plus efficacement au bonheur de son pays, que la tête froide et expérimentée du vieillard qui temporise dans les momens où la témérité seule est de saison.