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sommé peu après, Pétion avait trop de perspicacité pour ne pas reconnaître que le rôle politique de T. Louverture était aussi bien fini que celui de Rigaud. Et alors, à qui mieux qu’à Dessalines était réservée la direction du parti politique de l’ex-gouverneur ? Nous avons déjà énuméré tous ses titres à cette position ; ils ne pouvaient échapper à la clairvoyance de Pétion. La déportation de T. Louverture vint confirmer cette appréciation. Les deux anciens chefs n’étant plus dans la colonie, les deux nouveaux se trouvaient avantageusement placés pour guider le mécontentement des deux partis qu’ils représentaient. Ayant eu occasion de s’estimer mutuellement, tant dans la guerre civile du Sud que dans celle qui venait d’avoir lieu, il ne leur restait plus qu’à se voir pour s’entendre dans un but commun. La circonstance de leur réunion à Plaisance fut une occasion toute favorable : Pétion sentit que c’était à lui de prendre l’iniatitive à cet égard ; il le fit avec un généreux dévouement à la race noire, et, dirons nous, une pieuse abnégation. Il le devait à son pays, à ses frères ; et il porta la conviction dans l’esprit de Dessalines, la persuasion dans son cœur qu’animait déjà une noble ambition. Dès-lors, l’unité haïtienne était en germe : les injustices, les crimes que commettait journellement la race blanche devaient développer cette précieuse semence sur le sol fécond de la Liberté.

Etait-ce ensuite à Clervaux, à H. Christophe, que Pétion ou Dessalines devait s’ouvrir prématurément ? Quoique ces deux généraux fussent aussi bien disposés à servir la cause de leur race, leur caractère, plus encore que leurs idées politiques, devait mettre Dessalines et Pétion dans une sorte de défiance vis-à-vis d’eux. Clervaux n’était qu’un brave soldat. Christophe avait une morgue qui