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Brigand était le terme dont se servaient les Français pour qualifier les insurgés. Il disait vrai à certains égards, à raison des actes de brigandage qu’ils commettaient. Mais, de quelle expression ces brigands auraient-ils pu se servir pour qualifier les Français, leurs ennemis, qui les noyaient, les pendaient, les fusillaient, les étouffaient dans la cale des navires, et qui, plus tard, les firent dévorer par des chiens amenés de Cuba ? Il est probable que, ne sachant pas mieux que nous la langue française, ils auraient été fort embarrassés de trouver une expression convenable[1].

Toutefois, remarquons, à la louange de Clervaux, que ce mulâtre n’entendait pas séparer sa cause de celle des noirs, ses frères. Ancien libre de Saint-Domingue, que lui importait, non plus qu’à Christophe et à Pétion, la considération dont il eût joui dans cette colonie, si les noirs qu’ils avaient guidés dans la conquête de la liberté, devaient redevenir esclaves ? Nous aimons ensuite à consigner dans nos pages cette exclamation courageuse, non moins hardie dans la circonstance que les déclarations positives de Christophe ; car elles les exposaient tous deux à une arrestation immédiate.

C’est ce qui serait arrivé probablement, si l’homme qui devait exercer une grande influence sur les destinées de son pays, et qui était aussi maître de sa parole que de ses actions, si Pétion, audacieux autant que résolu, n’eût précipité la levée de boucliers qui les sauva tous.

  1. « D’après le dictionnaire de Bescherelle, nous voyons qu’en 1815 : « On donna le nom de Brigands de la Loire aux glorieux débris de nos armées, qui, après la défaite de Waterloo, s’étaient retirés derrière la Loire. » Ainsi, les passions politiques sont toujours les mêmes, soit qu’il s’agisse pour elles de flétrir, à leur point de vue, les blancs ou les noirs.