Page:Ardouin - Étude sur l’histoire d’Haïti, tome 5.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs ennemis et contre les ennemis de la République. Puisqu’ils étaient Français, ils ne devaient pas en avoir plus que ceux d’Europe. Et quels étaient donc ces ennemis de la République, lorsque le Premier Consul déclarait que tous les peuples avaient juré la paix et l’amitié aux Français ?[1]

Si un chef-d’œuvre de rédaction politique consiste à être obscur, inintelligible, Pamphile de Lacroix a eu raison dans son appréciation. Mais la menaçante image du dernier paragraphe de cet acte ne l’expliquait-elle pas suffisamment ?

Quand nos cannes sont desséchées par l’influence du soleil brûlant des Antilles, qui engendre aussi la fièvre jaune, il suffit en effet de la moindre étincelle, pour les dévorer, — de même que cette terrible maladie moissonne en peu de temps la plus nombreuse armée : les Anglais en avaient fait la cruelle expérience, et peut-être le Premier Consul ne se le rappelait pas.

Et voyez encore comment le génie de l’homme est exposé à se trouver souvent en défaut ! Il est fort possible et même probable, que ce soit cette image du feu dévorant les cannes desséchées, qui aura inspiré à H. Christophe l’idée d’incendier la ville du Cap, — en traçant ainsi un exemple de résolution énergique à un autre général qui l’imita dix années après, au préjudice d’une autre armée française, dans une contrée dont la température est l’opposé de celle des Antilles[2].

  1. Dans le langage colonial, on entend par habitans, — les propriétaires. Comme c’est à eux seuls que la proclamation s’adressait, les ennemis contre lesquels on voulait les protéger étaient les noirs, destinés à être replacés dans l’esclavage, à leur profit.
  2. Dans son Histoire de France, Bignon dit que « Christophe est le Rostopchin de Saint-Domingue. C’est un premier incendie de Moscou en 1802. »