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qu’il avait entreprise : — de restaurer l’ancien régime colonial, sous le patronage de la France, en contraignant ses frères à travailler aussi péniblement que par le passé, en s’alliant intimement avec les colons, en rétablissant leurs privilèges. Les déceptions étant arrivées pour lui, il avait vainement essayé de résister à l’invasion de l’armée expéditionnaire. La population indigène, fatiguée de son joug, n’avait désiré que l’intervention de l’autorité tutélaire de la France pour le faire cesser, et déjà les déceptions commençaient pour elle-même.

C’était donc, de la part de Dessalines, un sacrifice utile plutôt qu’une trahison perfide, quand il concourait par son assentiment à la déportation de T. Louverture. Quoiqu’il eût été un instrument aveugle et terrible dans les mains de son chef contre toute cette population, il venait de se racheter en quelque sorte à ses yeux, par l’héroïque défense de la Crête-à-Pierrot, par la vigueur qu’il avait montrée jusqu’à sa soumission. En général, les hommes aiment à voir déployer une grande énergie par un militaire ; elle conquiert leurs suffrages en faveur de tels caractères.

Les officiers, les soldats de l’armée coloniale étaient plus sympathiques à Dessalines qu’à T. Louverture ; ils préféraient la brusquerie violente du premier à la fureur hypocrite de l’autre : l’un faisait tomber ouvertement une tête, l’autre ordonnait secrètement qu’elle fût tranchée et rejetait ensuite l’odieux sur les exécuteurs. Dessalines plaisantait avec le soldat, il le cajolait. T. Louverture, toujours retranché dans sa dignité, ne lui apparaissait que comme une divinité terrible. Et pour remédier au mal qui naîtrait infailliblement, c’était l’armée surtout qui devait soutenir les efforts de la population