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C’était la vengeance qu’il fallait concevoir en ce moment ; et la vengeance, pour être efficace, doit être calme et réfléchie ; il fallait surtout ennoblir ce sentiment. L’insurrection comme moyen, — l’indépendance de la colonie comme but à atteindre, voilà quelle était la seule vengeance digne de Pétion, de cet esprit méditatif qui ne sut toujours que remplir son devoir envers son pays, ses frères, la race noire tout entière.

Excusons ensuite le général Pamphile de Lacroix d’avoir signalé Pétion à Leclerc « comme l’officier de couleur qui devait le plus fixer son attention, parce qu’il avait autant de moyens que de courage, et qu’il avait surtout la réserve étudiée des grands ambitieux [1]. »

Excusons-le, à raison de ce qu’il en a dit après : « Quant à Pétion, il avait été trop longtemps sous mes ordres pour que je ne le connusse pas à fond ; je prédis alors ses destinées ; il les a remplies[2].  » Et cet auteur a écrit ses pages après la mort de Pétion, sachant, peut-être imparfaitement, ce qu’il a exécuté.

Oui, Pétion fut un grand ambitieux ! Mais, quelle ambition noble et désintéressée !… N’anticipons pas sur les événemens : nous verrons ce mulâtre dans son œuvre politique.

Si Pétion et ses officiers conçurent ce qu’il y avait d’inique dans la déportation de Rigaud, — un autre homme, moins éclairé qu’eux par son esprit, mais éclairé par son cœur, sentit aussi ce qu’il y avait de coupable dans l’arrêté de Leclerc, Lamour Dérance, ce noir toujours attaché à Rigaud et aux mulâtres, qui n’avait fait sa soumis-

  1. Mémoires, etc, t. 2, p. 234.
  2. Ibid., t. 2, p. 265.